Robert Valette : "On est Lyonnais avant tout"

Robert Valette : "On est Lyonnais avant tout"

Pour ce nouveau numéro de l'interview 100%OL by Goneback, la rédaction vous amène à la rencontre de Robert Valette. Formé au club, qui a évolué sous nos couleurs de 1969 à 1976 puis devenu entraîneur des jeunes à l'OL où il a contribué à la montée en puissance de notre centre de formation, il revient pour nous sur sa carrière, sa vision du football ainsi que la situation actuelle de l'OL. Un homme simple, délicat, passionné et passionnant. Bref, une interview à consommer sans modération.

Monsieur Valette, bonjour ! Merci d'avoir accepté notre invitation pour cette interview. Comment allez-vous ?
Ça va bien, la carrosserie tient la route. Merci de votre invitation.

Votre vie est consacrée au football et à tout ce qui l’entoure, quelle a été la raison de votre passion pour le football ? Est-ce un héritage familial, un élément déclencheur ?
J’ai toujours aimé ça. Le sport faisait partie de ma famille. Mon père a été joueur de rugby au LOU puis entraîneur, ma sœur a fait de l’athlétisme, mon frère jouait au foot aussi, il était même meilleur que moi mais il s’est gravement blessé à 17 ans.
Puis il y a eu un élément déclencheur, mon père se faisait du souci sur ce que j’allais faire dans la vie. Je lui ai alors dit que je voulais soit devenir journaliste sportif soit entraîneur professionnel et il m’a répondu « Pour devenir entraîneur et être crédible face à tes joueurs, devient toi-même joueur professionnel ».
À ce moment-là, j’ai tout donné pour jouer en pro. Au final, les meilleurs souvenirs que j’ai, ce n’est pas forcément mes années de joueur mais d’entraineur.

Vous arrivez en 1969 à l’Olympique Lyonnais, vous évoluez au club jusqu’en 1976. Comment vous le vivez et comment le vit votre entourage ?
C’est exact, pour être précis j’ai signé ma première licence à l’OL en 1957 puis je suis passé en pro en 1969. Pour recontextualiser, en 1970 c’était complétement différent, si vous étiez professionnel vous faisiez une carrière. Maintenant, c’est beaucoup plus dur. Tous les 2-3 ans on peut vous mettre au loft, alors qu’à l’époque c’était rare parce qu’il y avait moins d’argent.
Je peux vous dire que quand j’évoque nos années communes avec Fleury (Di Nallo) ou Bernard (Lacombe) : on jouait pour le plaisir ! On avait des salaires de cadres, jamais des salaires d’artistes. Donc assez confiant et serein.

Malgré tout, en 1977 le monde professionnel instaure les contrats dit « à temps » qui obligent les clubs à être propriétaires de leurs joueurs en leur versant un salaire mensuel. Ce qui va provoquer un grand ménage dans le club. Quel souvenir en gardez-vous ?
Le tournant ça a effectivement été en 1977, on était que des lyonnais, il y avait Fleury (Di Nallo), Bernard (Lacombe), (Yves) Chauveau… Et en trois ans, ils ont tout viré. Moi cette année-là, on m’a dit clairement : « Tu t’arrêtes. », alors qu’il me restait une année de contrat avec l’OL. Je me suis donc retrouvé à Angoulême.

Ça vous a vraiment impacté psychologiquement ? Vous en gardez de la rancœur envers certaines personnes ou le club en général ?
Bien sûr que ça impacte un joueur, c’est tellement brutal. On se dit qu’on est moins bon, alors qu’en fait tout le monde est parti. Puis ce n’est pas facile de quitter « ses familles » : la famille OL et la vraie famille.
Après il n’y a pas eu de rancœur envers le club, car je suis lyonnais et c’est mon club. Mais de la rancœur par rapport à ceux qui étaient présents à l’époque et qui ont pris ces décisions.
Pour vous décrire la situation, on m’a fait beaucoup de promesses en me disant : « Toi on va te repositionner comme milieu défensif » et on t’appelle un mois après pour te dire « Ils font le ménage à l’OL, il vire tout le monde »
On devait partir pour un stage dans le Jura, on m’a dit : « Tu ne pars pas. »
Regardez ce qui s’est passé avec Depay, avec Dembélé actuellement, avec Kurzawa au PSG. Ils ne veulent pas partir, ils ont un beau salaire, pas d’indemnités de transfert… Ils font 2 ans par-ci par-là, ils n’ont pas l’envie de persister dans un club. Ou alors on leur demande de partir parce que le club a besoin d’argent.

 


Vous avez évolué avec des joueurs emblématiques de l’OL : Serge Chiesa, Bernard Lacombe, Fleury Di Nallo ou encore Raymond Domenech. Est-ce que l’un d’eux vous a particulièrement marqué par son niveau, son charisme ou sa volonté ?
Chacun à ses trucs. Cependant, j’étais à l’OL, j’étais ramasseur de balle et j’allais à tous les matchs parce que j’adorais ça. Je rêvais de jouer avec Fleury, il était tellement fort. Quand j’ai joué avec Fleury pour la première fois j’étais le roi du monde, je lui ai dit que c’était extraordinaire pour moi.

Avez-vous gardé des contacts avec certains ?
Oui évidemment, Fleury, Bernard… On est des vieux copains. On ne se voit pas pendant 2-3 ans mais quand on se revoit on prend un vrai plaisir et jamais rien ne change.

Vous pensez qu’on a perdu cette proximité entre les joueurs ?
Je pense surtout que le vrai problème c’est qu’on a tendance à les mettre dans une bulle. Surtout depuis qu’ils sont au Groupama Stadium. Avant quand j’étais chez les jeunes, on faisait des oppositions entre les pros et les jeunes, tout le monde se croisait, se connaissait, se côtoyait… Fred, Dhorasoo c’est des mecs qui venaient jouer avec les jeunes, maintenant ça ne se fait plus.
Ils vivent dans une bulle dorée.
Avant, quand on sortait après les matchs, on était dans la foule, on allait boire un coup avec des supporters. On se faisait insulter parce qu’on avait fait un mauvais match, mais on s’en foutait, on assumait. Et la fois d’après, si on avait fait un bon match et qu’on avait gagné, on était acclamé. Maintenant c’est tout amplifié par les médias et les réseaux sociaux.
Je me souviens, j’habitais à Villeurbanne et il m’arrivait d’aller au bar où on avait des discussions de comptoir. Les joueurs aujourd’hui ont carrément des coachs de discours, de communication.

Au début des années 1970, l’OL retrouve un nouveau cycle avec Aimé Mignot à la tête de l’équipe. Les premiers podiums de l’histoire de l’OL en 1974 et 1975, de très beaux parcours en coupe de France. Quel moment vous a le plus marqué ?
Je suis désolé c’est un moment très personnel mais on avait joué en coupe d’Europe à Mönchengladbach. On avait perdu 1-0 sous une pluie battante. Puis, match retour à Gerland, il y a 40 000 personnes. Serge (Chiesa) m’envoie un centre de la gauche, je contrôle de la poitrine et je frappe en pleine lucarne et là, je vous garantis que pendant 1 minute ou 2 vous savez plus où vous habitez, c’est extraordinaire. Je suis incapable de me rappeler de ce que j’ai fait sur le terrain. Au musée du stade, Stéphane Benas a retrouvé le but et quand je l’ai revu pour la première fois, parce qu’il n’y avait que très peu d’images à l’époque, j’ai revécu ces émotions.
Après dans l’ensemble, j’ai le souvenir d’une bande de potes avec qui on allait manger au resto, on vivait, on s’amusait, on jouait au football.

 

OL - Mönchengladbach le 5 novembre 1974 en 16è de finale retour de la coupe de l'UEFA. Robert Valette avec le numéro 4 va ouvrir le score d'entrée mais l'OL subira une déferlante par la suite, s'inclinant 5 - 2.


Vous êtes, suite à votre carrière de joueur, devenu coach notamment des jeunes de l’OL. C’était presque une obligation pour vous de continuer dans le milieu du foot et au sein de l’OL ?
Ah oui c’était mon envie première, j’ai passé mes diplômes très tôt. J’ai toujours voulu être coach. Malheureusement, je n’ai jamais pu atteindre réellement mes objectifs car j’ai été malade et dans le métier on vous oublie. La porte s’était fermée… Je garde tout de même de très bons souvenirs dans les clubs où je suis passé, par exemple au Stade Riomois je me suis éclaté. Après à Bourges ça s’est mal passé car la mairie était passée communiste au mois d’avril et comme le club était beaucoup tenu par la mairie, ils ont viré tout le monde et ont mis des gars à eux dans le club.
Finalement, en décembre 1988, Raymond (Domenech) se sépare de 3 ou 4 entraîneurs et je suis donc revenu au club en 1989 grâce à Raymond.


Quel est selon vous le secret de la formation lyonnaise qui lui permet d’être aussi performante ?
Il y a plusieurs critères. Avec Raymond et tous les autres, on s’était dit qu’il fallait arrêter de simplement participer, il fallait gagner. Si on veut être crédible, il faut gagner. On a pris exemple sur Auxerre avec Guy Roux qui étaient arrivés aux premiers rôles. On a monté une cellule pour bonifier les jeunes. On a mis en place une cellule de recrutement. On a mis en place le sport-étude avec le collège Vandôme pour commencer. Le président nous a donné carte blanche et on s’est dit : « À partir de maintenant, on gagne ! ». Et de 1992 à 2000, on a gagné ! On a rapporté des titres en U15, U17, on est champion de France en CFA… Ça nous a permis de pérenniser la formation et d’attirer les meilleurs jeunes. Raymond était un vrai gagneur. On a changé quelque peu l’ADN du club.

En parlant d’ADN, on parle beaucoup de l’ADN Lyonnais avec le retour d’anciens joueurs et la mise en valeur de notre centre de formation ? Votre avis là-dessus ? Est-ce la bonne solution ?
Lacazette et Tolisso ont participé à ce vestiaire qu’on appelait « Le Gang des Lyonnais » qu’on a vilipendé. C’est eux qui faisaient la loi dans le vestiaire. Il a fallu qu’on fasse éclater ça en les vendant. Et maintenant, on se dit que les Lyonnais ce n’était pas si mal. Au final les supporters savent qu’on est Lyonnais, et ils aiment vous savoir comme eux. On ne peut pas suspecter Anthony Lopes de faire un passage éclair à l’OL. Maintenant des jeunes arrivent et perpétuent cette envie de gagner lyonnaise. Même si maintenant on a l’attrait de l’étranger et des gros salaires, on est Lyonnais avant tout.
Là vous en avez beaucoup : Caqueret, Lukeba, Gusto, Lopes. On veut gagner parce qu’on est lyonnais. On veut rester et se défendre, on est fier de sortir de la filière lyonnaise.
Par exemple, s’il y a eu cette animosité avec Dubois, c’est parce que Gusto concurrençait Dubois et que c’est un lyonnais. Pareil pour Lukeba et Denayer, Denayer est parti dans l’anonymat le plus total. Pourquoi ? Parce qu’il y avait un lyonnais à sa place.
Sur le dossier Aouar, il est chez lui. J’ai connu ça, et je vous assure que ce n’est pas facile de demander de partir à un joueur.
Cherki c’est encore différent, à l’heure actuelle il n’arrive pas à faire son trou en professionnel. Le problème de Cherki, c’est qu’on a un gamin qui côtoie les pros depuis qu’il a 16 ans, à qui on promet un avenir en or et qui d’année en année ne voit pas son temps de jeu augmenter. Les jeunes sont pressés, je me rappelle avoir discuté avec les parents de Caqueret. « Soyez patients » je leur avais dit ! Aujourd’hui, la question se pose, est-ce qu’il ne vaut pas mieux que Cherki trouve un club où il est titulaire ? Je me suis toujours battu pour que les jeunes jouent. La seule exception que j’ai connue c’est Karim Benzema. Il a fait que 10-11 matchs avec la CFA2. Cherki n’a pratiquement jamais joué en N2. Même s’il est talentueux, a-t-il assez de recul psychologiquement ?
Si on ajoute à ça l’aspect financier… Il y a eu un problème dans la tête du joueur et de son entourage, surtout dans la tête de ceux qui sont autour de lui. Ils veulent avoir une part du gâteau. Mais c’est normal, vous côtoyez à 16 ans des gens qui gagnent 200-250 000€ par mois, et Cherki qui gagne déjà le double du salaire de ses parents. Non seulement il faut être costaud, mais surtout bien accompagné.

 


Dans votre carrière, vous avez fait l'OL et Angoulême entant que joueur, puis vous avez été formateur à l’OL en passant par d’autres clubs comme le Stade Riomois ou le FC Bourges pour être coach. Aujourd'hui, quel regard vous portez sur votre carrière ? Est-ce que vous avez des regrets ? Est-ce que vous êtes fier de ce que vous avez fait ?
Je suis fier de ce que j’ai fait. Je n’ai jamais eu de regrets et ça ne sert à rien d’en avoir. Je n’ai jamais regardé en arrière. Je me suis amusé toute ma vie, j’ai vécu avec ma passion, le football. J’ai vu de belles personnes et des moins belles, mais ça fait partie du « package ».

Merci beaucoup Monsieur Valette d’avoir répondu à nos questions ! Si on devait finir par un petit mot pour les supporters lyonnais et lecteurs de 100%OL by Goneback ?
Aimez vos joueurs, aimez-les. Si vous voulez qu’ils soient vraiment bons, il faut les aimer. C’est con à dire mais donnez-leur des signes d’affection.
Le retour de Lacazette et l’accueil que lui ont réservé les supporters, c’est fabuleux. Merci à vous de votre invitation, j’adore parler foot et si vous ne m’arrêtez pas je peux parler des heures.

 

Propos recueillis par Jean Chavanis et Antoine Melinand // Rédaction : Jean Chavanis

Le Stagiaire

@JeanLeStagiaire

De Gerland jusqu’à Fourvière brillera la ville des lumières.
Merci maman de m’avoir fait lyonnais.